Sarah est méchante

Publié le par Camille et Sarah

Je sais, l’information peut surprendre. Moi, l’ange, le modèle de calme, de pondération et de diplomatie, toujours d’humeur constante, tolérante et conciliante, même le matin, oui, même le matin, moi : je suis méchante. Parfois.

Je suis méchante parce que les Chinois m’agacent.

Parfois.

Ils m’agacent quand ils me regardent la bouche ouverte. Car il faut savoir que pour un Chinois, l’humanité se divise en deux catégories : les Chinois et les autres. Pour les distinguer, c’est très simple : les Chinois ressemblent à des Chinois. Les autres, non. Et les humains de la première catégorie observent avec un grand intérêt les humains de la seconde catégorie quand ils en croisent un. Ainsi, je suis regardée, commentée, analysée, moquée ou admirée. Or, il y a des jours où ce n’est pas le jour, où je veux qu’on me laisse tranquille. Et là paf un Chinois, devant moi, la bouche ouverte et je lis dans ses yeux le grand étonnement. Ooh une étrangère. Selon mon degré initial de mauvaise humeur, j’ai envie de refermer sa bouche béante, ou de faire BOUH pour voir, ou de hurler QUOI MAIS QU’EST-CE QUE T’AS A ME REGARDER COMME CA OUI JE SUIS BLANCHE MAIS OH J’AI AUSSI DEUX YEUX COMME TOI ET DEUX JAMBES ET UN NEZ AU MILIEU DE LA FIGURE ALORS QUOI QU EST-CE QU IL Y A DE TELLEMENT ETONNANT PUTAIN DE BORDEL DE MERDE. Je n’ai jamais dit ça parce que je suis bien élevée et parce que les probabilités que le malchanceux Chinois comprenne le français sont très très faibles. En revanche, je les regarde avec un air de bouledogue jusqu’à temps qu’ils détournent les yeux. Je sais, ce n’est pas gentil.

Les Chinois m’agacent aussi quand je fais les magasins. Ce qui pourtant est une activité de plaisir et de détente. Mais ici, il y a les vendeurs et les vendeuses. Partout. Une dizaine par boutiques (sans exagération), dont un ou deux postés à l’entrée qui applaudissent. Pour attirer le client et faire du bruit inutilement, ce qui est une activité très répandue en Chine. Bref, à peine ai-je mis un orteil dans une boutique que je suis assaillie par une vendeuse qui ne me lâchera plus. Elle me parle en chinois, je lui dis que je ne comprends pas, elle rigole, raconte ça à ses copines qui rigolent aussi, et continue à me parler en chinois. Je prends une fringue pour regarder, elle me l’arrache des mains et enlève le cintre pour que je l’essaye. Ou alors, elle me sort elle-même des fringues des rayons pour me montrer. En général, elle choisit les trucs les plus laids. Exprès pour m’énerver encore plus, je suis sûre. Quand par hasard, j’ai trouvé quelque chose de potable et que je veux essayer, elle me détaille, me fait signe d’attendre et revient avec le même article en taille L. Au début, je me suis demandé si elle pousserait le vice jusqu’à m’accompagner dans la cabine pour m’aider à me déshabiller. Non. Elle attend dehors et guette ma sortie. Le pire, c’est que ce cauchemardesque scénario se répète dans tous les magasins. Je ne peux plus acheter un shampoing seule, il faut qu’une vendeuse m’assiste et me propose au passage l’après-shampoing qui va avec le shampoing.

Il en va de même pour les vendeuses comme pour les regards insistants. Certains jours, je tolère, ça m’amuse même, ça m’attendrit. C’est fou hein quand même les différences culturelles mais que voulez-vous il faut de tout pour faire un monde il faut s’accepter les uns les autres et aimer son prochain. Peace and love et vive la diversité. Et parfois je suis méchante. Je fusille du regard et j’ignore les vendeuses. Parce que j’ai essayé différentes techniques pour qu’elles me laissent en paix. J’ai fait signe que je regardais c’est tout. J’ai essayé de la perdre entre deux étagères. J’ai essayé de lui expliquer que je n’avais pas besoin d’elle et qu’elle pouvait prendre sa pause. Mais la vendeuse est imperturbable, elle continue à me sourire et à me suivre. Alors, j’ai décidé de fourber : j’ignore la vendeuse. Je lui dis bonjour puis je la laisse déblatérer en chinois, je fais mon petit tour, je ne regarde pas les immondices qu’elle veut me refourguer, je tourne la tête quand elle me parle, je fais la sourde, l’aveugle, la vendeuse n’existe plus, elle a disparu de mon champs sensoriel. Sur le coup, je suis fière de moi. Je suis une super héroïne qui a déjoué les affreux pièges commerciaux de la rusée vendeuse. Puis, un peu plus loin, dans la rue ou dans le bus, je suis prise de remords. Honte sur moi, j’ai été méprisante avec cette fille qui ne fait que son travail. Honte sur moi elle était si gentille si aimable et moi je l’ai traitée comme une merde. Honte sur moi, je suis une néocolonialiste qui traite les Chinois comme des sous-hommes. Honte sur moi, je suis une nazie, une criminelle inhumaine, un monstre de cruauté. Honte sur moi, je suis MECHANTE.

J’aime bien en rajouter un peu.

Evidemment, il est trop tard, le mal est fait. Mais si ce mea culpa n’attenue que très peu mon sentiment de culpabilité, il permet en revanche de me faire croire que je suis un être évolué et civilisé.

C’est vrai quoi. Je connais le mot interculturalité et j’ai suivi des cours sur le sujet à l’université. Je sais que leurs réactions sont le produit de leur culture. Je sais que le plus intelligent à faire, c’est d’essayer de comprendre cette culture. Je sais qu’il est vain et stupide d’y poser un jugement de valeur. Je sais que je n’ai pas la vérité et que moi aussi je vois tout à travers le prisme de ma propre culture.

Je sais tout cela mais parfois, je me surprends à me dire que vraiment les Chinois ont tort de faire ceci ou de penser cela. Je redeviens un animal qui aboie contre ce qui est étranger et qui montre les dents à ce qu’il ne comprend pas. Parfois, je suis méchante.

S.
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
R
<br /> Je trouve que tu vas vite en besogne à propos de ta soi-disante intolérance ! Apparemment il t'aura un fallu un bon mois pour atteindre un niveau d'exaspération que j'ai mis une heure à atteindre.<br /> Je peux t'appeler Gandhi ?<br /> (ah tous ces décibels qui lèchent le trottoir, qu'est ce que ça me manque !)<br /> <br /> <br />
Répondre
R
<br /> Qques conseils pour améliorer ton amabilité:<br /> -Prévenir gentiment la population locale que tu ne veux pas être menée à" la baguette"(chinoise! evidemment)<br /> -Dans les magasins,lorsque l'on vient t'agresser,prendre ton plus beau sourire et,te mettre à "chiner"<br /> <br /> <br />
Répondre
L
<br /> J'ai beaucoup ri en lisant cet article. Parce que je suis la mère de Sarah et que tout le monde sait qu'une mère n'a aucune sorte d'objectivité par rapport à son enfant, donc je vais en profiter...<br /> Je trouve que tu as le même talent que Stephan Sweig pour débusquer les petits rien de la nature humaine... Et oui....<br /> <br /> <br />
Répondre
F
<br /> Merci de nous rappeler à notre vielle nature profonde ! César le disais déjà "Ils sont fous ces bretons".<br /> Bises des fous<br /> françois<br /> <br /> <br />
Répondre